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Mon grain de sel: Opinions et commentaires politiquement incorrects

Un pays martyr

Il est 04 h du matin, je prends mon quart. Les lumières de la ville tant rêvée sont bien en vue et nous devrions y être cet après midi si seulement ce sacré vent voulait bien se lever un peu… Mais de vent point et j’ai l’impression angoissante que les lumières s’éloignent. C’est bien cela, les lumières s’éloignent alors que le bateau encalminé roule et tangue.. Les voiles se gonflent de temps en temps mais la mer est lisse comme une peau de bébé. Cette fois ci je réveille le skipper , il y a problème : C’est le vent relatif de notre propre vitesse à reculons qui gonfle faiblement les voiles. Nous sommes embarqués dans un courant qui nous ramène en Indonésie et nous n'avons pas de moteur. De Dili je n’aurai vu que ces lumières à l’horizon et je le regretterai toute ma vie. Adieu Porto, steak frites et échantillon fantasmé de Portugal du bout du monde. Nous sommes en Septembre 1974 … Dans un an et deux mois l’armée indonésienne s’emparera brutalement du Timor Portugais et anéantira cette colonie vieille de 400 ans. 250 mille Timorais le paieront de leur vie.

Un petit rappel historique est ici nécessaire. Je ne doute pas que les Francophones et autres Européens sont des gens informés car aujourd’hui l’information est accessible à tous via le clavier et la souris… Encore faut il savoir qu’elle existe pour aller la chercher cette info… S’il existe encore des Français aujourd’hui qui ne connaissent rien de Timor il faut leur pardonner : A cette époque, comme à l’habitude, les média occidentaux vassalisés avaient jeté leur dévolu sur une autre atrocité en cours, communiste celle là:  l’avènement du régime de Pol Pot et des Khmers rouges au Cambodge. Du coté de l’Australie, silence radio également. L’Australie vivait à la fin de l’année 1975 la plus grande crise politique et constitutionnelle de son histoire : La dissolution au nom de la Reine Elizabeth par le gouverneur John Kerr du gouvernement de gauche de Gough Whitlam. L’administration suivante, du premier ministre conservateur Malcom Fraser gardera un silence complice sur les événements de Timor Oriental et reconnaîtra officiellement l’annexion. J’ai toujours pensé que de soutenir l’intégrité de l’Empire Javanais (pour l’appeler par son vrai nom) était une erreur stratégique : Une Indonésie affaiblie par des dissidences internes serait un moindre danger pour l’Australie mais je ne suis pas un spécialiste. L’Australie, vassal historique de l’Oncle Sam ne voyait pas non plus d’un bon œil l’établissement d’un Fretilin victorieux à Timor Est et peut être un nouveau Cuba sur son pas de porte. Quant aux Anglais avec les Allemands (et peut être les Français mais je n’ai pas de preuves) ils ont vendu des armes de guerre à l’Indonésie pendant la phase la plus meurtrière de l’invasion. Les Portugais chamboulés par leur « Révolution des Oeuillets » ont littéralement abandonné leur petite colonie des mers du Sud. Tous ont donné du commentaire outré du bout des lèvres et les Nations Unies ont été mises devant un fait accompli. La conquête militaire du Timor Est par l’Empire Javanais n’a rien eu à envier de l’invasion de la Pologne par les troupes d’Hitler. Attention tout de même : Il ne s’agissait pas de colonisation car la colonisation ne peut se faire que par des Blancs ! Il ne s’agissait pas non plus d’une abomination géopolitique car les abominations ne sont commises que par des communistes ! L’armée Indonésienne du Général Murdani a pu en toute impunité bombarder des villages au napalm, massacrer à l’arme lourde des populations déjà capturées et désarmées, tuer des commerçants Chinois pourtant totalement apolitiques comme en 1965, encercler et affamer des milliers de gens fuyant la terreur réfugiés dans les montagnes, défolier des forêts entières avec du matériel fourni spécifiquement par les Américains (des spécialistes dans ce domaine...) La formule de « Solution Finale » est même évoquée qui se passe de commentaires… Cinq journalistes Australiens sont arrêtés à Balibo et méthodiquement assassinés par l’Armée Indonésienne qui rejette le crime sur une milice locale. Le pays sera mis au pas mais il restera toujours un mouvement de guérilla irréductible dans cette grande ile excessivement montagneuse et difficile à contrôler. En 1999 une nouvelle administration en place à Jakarta accorde finalement un référendum sur l’Indépendance de Timor Timur. Le « oui » l’emporte à 90 %… S’enchaîne alors une succession d’événements d’une violence inouïe comme au pire moment de l’invasion. Les autorités Indonésiennes accompagnés des milices locales ont décidé de raser le pays. On s’en va mais on casse tout. La terre brûlée est l’ordre du jour : Écoles, hôpitaux, bâtiments publiques, bibliothèques, tout est incendié, tout est détruit. Les Australiens enfin réagissent : L’ONU est convoquée et une force multinationale dirigée par l’armée Australienne est envoyée sur place. C’est la seule fois de ma vie où j’ai eu envie de faire partie de l’armée et d’aller en guerre. Aurais-je vraiment eu le courage de partir ? Personne ne peut le dire avant d’être au pied du mur mais la motivation était claire. Je n’étais pas réserviste en 1999. Des soldats Australiens sont revenus traumatisés plus par ce qu’ils ont vu que parce qu’ils ont subit : Des villages désertés où traînaient des photos en noir et blanc dans la poussière, le cadre brisé, photos de bébés, de grand mères portant chapeau et crucifix… Mauvais augure : Ces objets de grande valeur pour ces pauvres gens sont les premières choses que des villageois de retour vont ramasser et sauvegarder ou emporter dans leur fuite… S’ils sont encore par terre c’est qu’il est arrivé quelque chose à la population. Les Australiens ont découvert des villages entiers jetés dans des puits, des gens brûlés en masse à l’arrière de camionnettes incendiées. L’armée indonésienne réfute toute accusation et rejette la faute sur les milices locales bien que ces milices fussent formées et armées par l’armée elle même. Plus tard on fera des découvertes invalidant la thèse d’une armée indonésienne innocente de toute exaction directe : En se retirant vers l’Ouest, vers le Timor Indonésien l’armée a tué et massacré tout sur son passage. Oradour sur Glane multiplié par cinq ou dix, le long de la côte Nord en direction de la frontière.

Pendant les 24 ans de l’annexion du Timor Leste (de son nom actuel) nous n’avons pas été saturés d’informations par les média, c’est le moins qu’on puisse dire. Amnesty a donné de la voix mais elle ne touche pas le grand public. Les Australiens comme à leur habitude ont les jambes qui flageolent et se mettent à claquer des dents dès que l’on mentionne leur grand et puissant voisin. Le politiquement correct et la prudence diplomatique interdisent de critiquer un état surtout s’il est voisin, musulman et sa population est exactement dix fois supérieure à la sienne…

Lorsque qu’à Surabaya je suis monté à bord d’un petit cargo, le commandant courtois nous a reçu à la passerelle. Il y était question d’un remorquage hors du port car notre moteur était en croix de St André depuis Djibouti. J’ai découvert une grande carte marine de l’Australie où une ligne tracée au feutre rouge partageait le continent en deux d’Est en Ouest, suivant approximativement le tropique du Capricorne. La légende écrite aussi au feutre dans la moitié Nord disait « Indonesia Selatan ». Je savais assez d’Indonésien pour savoir que « Selatan » veut dire « Sud ». Indonésie du Sud ? Intéressant.. Je pointe en souriant la carte au mur… Le Capitaine prend alors un air gêné, comme un enfant surpris les doigts dans le pot de miel et me dit en riant jaune que ce n’est qu’une bonne blague qu’on se dit entre nous… J’ai su par la suite que parmi les état-majors de la marine Indonésienne cette « blague » était un fantasme répandu. Ce brave capitaine était peut être un ancien militaire ? L’Empire Javanais aurait il déjà des vues à long terme sur une grande terre inhabitée ou presque, dans son Sud Est ? Je serais intéressé de le savoir : j’y habite ! A suivre…

Timor Leste est officiellement indépendant depuis 2002. L’élan secouriste du premier ministre John Howard en 1999 cachait une arrière pensée aussi grosse qu’un char d’assaut : La plateforme littorale entre Timor et l’Australie cache un gigantesque trésor. Mon pote Saïd un jour me disait une vérité profonde à propos d’un autre conflit « En politique il n’y a pas d’humanité, il n’y a que des intérêts ». Une vérité si universelle qu’elle devrait être écrite dans le marbre des édifices publiques et sur les gaufrettes. Le trésor en question porte un joli nom plein de promesses : « Greater Sunrise ». C’est une immense poche de gaz naturel offshore. Récemment les Australiens ont été pris la main dans le sac en train de tenter de « blouser » les Timorais et de leur voler le gaz en utilisant le mensonge et l’espionnage avant des négociations de frontières maritimes en 2018. Voler la seule richesse donc la seule chance de sortir ce pays le plus pauvre du monde de sa misère passée et actuelle ne leur fait pas peur. Ils iraient miner l’or dans la bouche de leur propre mère ces gens là. La politique étrangère de l’Australie est à peu près aussi nauséabonde que celle de la France en Afrique. Le parlement Australien a finalement accepté les conditions de 80/20, la grosse part allant à Timor Leste.

La grande ile de Timor vue depuis les airs est un petit paradis de montagnes et de mer cristalline, peut être une future Mecque touristique pour la plongée et la randonnée. Le Monde est toujours beau vu d’avion…

Frogmobile 06 10 2019

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